Texte & Photos : Armand Rosalie

Sous contrainte météorologique, Laurent a la pression. L’atmosphère est pourtant détendue, sous des trombes d’eau, alors que nous chargeons les pneus, les outils et nos bagages dans le coffre du monospace qui fera office de camion officiel. En l’absence d’un plateau, notre pilote doit se rendre au circuit par la route, en conduisant la M3 arceautée dans le trafic. Si nous, passionnés d’automobile, pouvons trouver du charme à ce genre de pratique, la maréchaussée contemporaine n’est sûrement pas complaisante. L’âge d’or de la course automobile c’était il y a quarante ans, alors nous roulons avec vigilance jusqu’au circuit de Dijon-Prenois. Là, dans sa cahute, le gardien halluciné de voir la voiture de course arriver par ses propres moyens, nous donne les accès. Nous y voilà, Laurent, Sergio, Brice et moi, au cœur de la compétition automobile.

Première journée de course, essais libres, qualifications et le début des problèmes. Il est samedi alors que nous nous réveillons à l’aube, offerte à une heure convenable en automne, pour préparer la voiture et valider les différents contrôles techniques. La séance d’essai est planifiée à 11h, et en arrivant à 8h30 nous pensions avoir du temps devant nous. Mais, lors des dernières formalités administratives, nous nous rendons compte que le planning a été mis à jour la veille : les essais pour la catégorie Groupe N débutent dès maintenant. Coup dur, la voiture n’est pas prête, et Laurent n’est pas équipé… Ça s’annonce mal, et, alors que nous pensions être tranquilles, le branle-bas de combat est sonné. Hors de question de se priver des précieuses minutes d’essais libres. Nous dévalons les escaliers des bâtiments administratifs, nous courons dans les couloirs, et à force de discussion avec les commissaires de pistes, l’organisation et le directeur de course, nous réussissons à négocier des essais avec les voitures du Groupe A.

Il pleut encore des cordes, nous montons les pneus pluies. Sur un présentoir, en magasin, il me paraît impossible d’imaginer que ces gros bouts de caoutchouc à crampons soient destinés à la piste en macadam : on jurerait des pneus tout-terrain. Pour courir en Groupe N, le véhicule est quasiment d’origine, seuls les suspensions, la tirette d’extincteur, le coupe circuit et la présence d’un arceau soudé trahissent la raison d’être du bolide jaune. Toutes modifications moteurs, ou du système de freinage pouvant augmenter les performances sont proscrites. Mais, avec une voiture disposant d’un six-cylindres de plus de trois cents chevaux, et étudiée pour rivaliser avec les Ferrari de son époque, il y a déjà bien assez pour se bagarrer entre deux vibreurs.

C’est alors en fin de matinée que les essais débutent. L’occasion d’ajuster les réglages de suspensions et la pression des pneus durant le quart d’heure de roulage mis à disposition. Après quelques tours de chauffe, Laurent s’arrête dans la pitlane où nous l’attendons. Brice note consciencieusement les pressions prise par Sergio, pendant que je recueille les impressions du pilote. D’après son ressenti, la voiture cherche la route. Après contrôle, le manomètre indique deux bar trois. Nous avions mis un bar neuf à froid, la physique nous rattrape et nous réajustons la pression aux deux bar préconisés par le fabricant. Si les premiers tours de roues sur circuit avec la M3 sont encore tout frais, c’est une première sous la pluie avec des pneumatiques adaptés. L’objectif premier de cette séance d’essai étant de découvrir un peu plus les réactions de la voiture.

Le fait d’avoir roulé avec les Groupe A lors des essais nous laisse peu de temps avant la séances de qualifications. Le soleil pointe enfin le bout de nez, et nous chaussons la béhème en « slick ». Même si ce n’est pas un concours de beauté, nous sommes tous ravis de voir la voiture sur des roues qui sentent bon la course.

Après deux ou trois tours de chauffe, Laurent attaque un peu plus, et les chronos sont de plus en plus encourageants. Il est notable que le fait d’avoir passé du temps à restaurer la voiture est un frein psychologique qui est complexe à desserrer. Mettre trois années d’investissement dans le premier rail de sécurité venu serait dégoûtant…

Et c’est quelques minutes après, peut-être à force de trop y penser, que nous voyons la voiture prendre toute la piste en bout de ligne droite, au bout du cinquième tour. Lors du freinage, à plus de 200, le pneu avant droit a éclaté. Laurent manque de cogner le mur à gauche, puis à droite, avant de finir dans la zone de dégagement. Plus de peur que de mal… Matériellement du moins, car le moral est sacrément entamé. A peine la voiture descendue du plateau, Sergio constate que la valve est déchirée : la cause est identifiée. Le pneu a perdu en pression, puis chargé du poids de la voiture au freinage, n’a pas supporté les contraintes. La carcasse du slick Michelin est éventrée sur toute la périphérie, c’est impressionnant. Sans slick de secours, et dans l’impossibilité d’en acheter un avant le dimanche de course, nous espérons que la pluie sera de retour…

Les soirées au circuit sont bonnes, entre repas sous la tonnelle, apéro et soirée karaoké. Il est amusant de voir ceux qui bastonnent sur la piste se taper sur le ventre ensemble autour d’un verre. Certes, la course est officielle FFSA, mais avant tout amateur. Les équipes sont là pour la gagne, évidemment, mais aussi pour s’amuser. On sent que l’objectif premier est de vivre cette passion qu’est le sport automobile, et peu importe qu’on dispute la Twin’Cup ou que l’on roule en monoplace, ici, l’amour du drapeau à damier est un dénominateur commun. Ceci dit, nous ne nous couchons pas tard, car on se doute que la journée de course sera rude. En me réveillant dans la nuit, je vois une lueur à l’autre bout de la chambre d’hôtel : notre pilote a visiblement du mal à trouver le sommeil…

Six heures et demi, la ritournelle horrible du réveil sonne. Mais, nous sommes vite réconfortés : bonne nouvelle, il pleut ! Les pneus pluie vont être utilisés dans les conditions adéquates. Deux heures et quelques cafés plus tard, la M3 jaune est sur la ligne de départ. Même si la voiture est en fond de grille, dû aux péripéties de la veille, Laurent nous confiera que ça a de la gueule vu de l’intérieur. La présence de la Safety Car, la rampe de feu annonçant le départ, puis le drapeau tricolore lâchant la meute l’immerge immédiatement dans un univers longtemps fantasmé.

Le départ est bon, et il remonte rapidement quelques places. Mais le presque accident d’hier et la pluie lui font vite retrouver sa place de départ. Se bagarrant pour ne pas finir la première manche dernier, il terminera la course en fond de classement. Toute la course, la M3 jaune donne l’impression d’évoluer sur des rails, alors que les autres sont souvent à la limite de la glisse. Il n’y a aucun doute, il peut faire mieux.

Coup du sort, après les deux problèmes majeurs nous ayant bousculé la veille, et un résultat en dessous des espérances de Laurent, la voiture doit subir un contrôle technique. Tirée au hasard, c’est tombé sur le bolide jaune, et c’est par les haut-parleurs du circuit que nous apprenons que le numéro 5 est disqualifié. La voiture est trop basse de huit millimètre : la seule explication étant le fait que les suspensions neuves se soient tassées. Et si la hauteur de caisse est encore ajustable à l’arrière, la voiture est en butée de réglages à l’avant. Il faut trouver des cales de compensation rapidement, avant la deuxième manche.

Encore une fois, l’esprit de camaraderie nous impressionne, les concurrents sollicités pour nous aider ne se débinent pas, et nous cherchons une solution pour que notre équipe malchanceuse puisse encore concourir. Mais, en vain, personne ne trouvera la méthode ou les pièces utiles à la réhausse de la voiture. Sergio, optimiste devant l’impossible, décide de nous motiver à remonter l’arrière pour prouver notre bonne foi et tenter d’obtenir l’aval des commissaires de course pour rouler. L’argument de choc, le fait que la voiture soit trop basse n’est pas avantageux sous la pluie, la suspension étant raffermie.

Pari gagnant, puis-qu’après une séance de mécanique, puis de discussion, Laurent obtient l’accord pour concourir à quelques minutes du départ. Une seule condition étant : tous les concurrents doivent accepter que Laurent dispute la course avec une voiture trop basse de quelques millimètre. Nous courons vers le parc fermé où les pilotes attendent le départ, les réunissons et expliquons la situation. Pour tout le monde, il va de soi que Laurent peut rouler, et vu les résultats de la veille, nous plaisantons sur l’impossibilité de piquer une place sur le podium…

A peine casqué, Laurent s’élance sur la piste pour le tour de chauffe, puis la mise en place de la grille de départ. Le soleil brille timidement, mais impose à tous de chausser les pneus slicks. Détruire les pneus pluie en vingt-cinq minutes de course n’est pas très plaisant. Il faudrait que la météo qui nous a fait souffrir pendant deux jours nous vienne un peu en aide. Le départ est donné, et du fond de la grille Laurent remonte à la quatrième place. Le départ parfait, presque dix voitures sont derrière. Nous restons sur la réserve en bord de piste, même si une lueur d’espoir allume un certain élan d’excitation. Nous courons des gradins de la ligne du départ, à la butte qui donne une vue sur les parties techniques du circuit.

Le temps d’y aller, Laurent a déjà bouclé deux tours, et maintient sa place. Son pilotage est beaucoup plus agressif, une rage soudaine et l’envie de revanche le motivent surement. Soudainement, le soleil disparaît, et quelques secondes plus tard la pluie bat la piste. C’est un miracle, comme un canidé, ce temps de chien qui nous a joué des tours reste tout de même fidèle. Il pleut et les concurrents s’arrêtent chausser des pneus pluie, Laurent remonte une place. Devant lui, une Megane RS, avantagée sur piste, et Bebel. Ce dernier évolue aussi en M3 E36, mais roule en slick sous la pluie comme si de rien n’était. Les tours s’enchaînent, Laurent baisse un peu le rythme, et quelques petites bagarres se manifestent pour les quatrième et cinquième places.

Nous perdons le fil de la course, et alors que le drapeau à damier est agité, nous remontons vers le parc fermé. Laurent n’y est pas, et dans les speakers nous entendons « Laurent Sylvestre, voiture 5, la troisième place de cette manche ». Bordel, on y croit pas.

Nous voilà désormais à courir sur la pitlane, sous la flotte, pour retrouver Laurent sur le podium. La M3 est garée en bas de la tribune, et c’est sûrement qu’une impression, mais de la fierté se dégageait de cette assemblage de tôle jaune. Les bras tombant, Laurent monte sur la troisième marche du podium. Improbable alors que nous avons rencontré un tas d’embûches sur ce weekend.

Sûrement que toutes ces péripéties auront été utiles pour qu’il se retrouve là. Plus qu’un podium en course, c’est une victoire sur ce concours de circonstances. Et même si les conditions de départ n’étaient pas optimales, malgré qu’il manquait des pneumatiques, que la voiture devait repartir par la route, Laurent est allé dans l’arène. Comme une leçon de vie, ce weekend entre amis nous rappellera qu’il ne faut jamais baisser les bras !