Texte & Photos : Philippe Vitry

Préface

Avec The Lonely State, Philippe Vitry nous emmène au gré des hasards dans une Amérique désenchantée, où le rêve américain semble ne s’être jamais pleinement exercé.

Paysages désertiques, carcasses abandonnées, dinners surannés… comme si toute présence humaine avait subitement été enterrée, laissant comme seule trace de notre passage de vieilles machines, témoins d’une gloire passée.

Origines

Philippeville, 1950, Romorantin, 1965.

Un tracteur, un planeur, une 403 bleu marine flancs blancs « comme aux Etats-Unis d’Amérique ».

Ces machines font plus que nous transporter, elles définissent et symbolisent à elles seules une époque : la terre et la ferme en Algérie, la vie de famille rude mais heureuse à la gendarmerie de Romorantin.

Enfants, elles nous émerveillaient, c’est la voiture de papa : une « Glipapaziennezienne » en référence au bruit du démarrage.

Adultes, nous les modelons à nos images et aspirations : impeccables et sans accrocs pour une 406 bleu nuit, noire et assourdissante comme un riff de black métal pour une Harley.

Un Trike, une Bonneville, une Dyna et un Softail, aux Etats-Unis d’Amérique.


We choose to go to the Moon

Nipton, 2019.

À première vue, un croisement au milieu de nulle part, entre la Californie et le Nevada. Bienvenue à Nipton, désert surréaliste où s’entrechoque une grande partie de la mythologie américaine.

Le long du rail, un saloon et son abreuvoir, mais de l’autre côté, ce sont deux vieilles Chevy réduites à l’état d’épaves qui nous observent. Privées de mouvement et dénuées de leurs chromes d’antan, elles sont ancrées dans le sol et se fondent désormais dans ce territoire aride

En progressant dans ce paysage lunaire, une machine encore plus singulière nous interpelle. Sur un châssis de Volkswagen se détache une soucoupe volante de fortune coiffée d’une bannière étoilée en piteux état.

Même défraîchi et abîmé, ce symbole de modernité et d’évasion nous rappelle les heures glorieuses de la conquête spatiale.


The Garage

Pahrump, 2019.

Sur la route de la Death Valley, non loin de Parhump, une vieille Dodge verdâtre près du grillage attire l’œil.

Un U-turn et nous voilà devant la garage de Steeve : le Top Notch Repairs, connu pour ses restaurations et customs. Le bruit de la Dyna nous précède et le vieil homme à casquette est déjà sur le parvis pour nous rencontrer. Il nous faudra montrer patte blanche afin de s’aventurer dans ce paradis mécanique et photographique.

Une mustang à l’abandon, une autre complètement désossée et une montagne de pièces détachées. Ces bagnoles ont du vécu c’est sûr, et cette usure leur donne du caractère.

Autant de vieux bijoux qui attendent une seconde vie, et quand on voit le résultat sur cette Plymouth Gran Coupe, force est de constater que les gars de Steeve font des merveilles.

Un café et nous repartons sur la route, en espérant déjà retrouver une telle pépite le long de la prochaine.

Old Glory

Blanding, 2019.

Blanding, Utah, sur le papier une ville comme une autre qui pourrait se situer à la fois partout et nulle part.

En réalité, l’une des dernières Dry City du pays où la prohibition est toujours en vigueur depuis plus de quatre-vingts ans. Et justement, c’est comme si le temps s’était figé dans cette petite bourgade de trois mille habitants.

« C’est comme si le temps s’était figé dans cette petite bourgade de trois mille habitants. »

Une vieille Nash Ambassador rouillée dont on peine à retrouver la couleur originelle, des Bando* et leurs carreaux cassés font ici et là figure de survivants.

Pourtant, ce pavillon au centre du quartier ferait presque illusion, parfaite évocation d’un mythe réel ou fantasmé : le patriotique drapeau étoilé planté dans le jardin, la Ford 100 d’époque, le tourniquet qui s’agite. On imagine Mr O’Brien et son fils Jack frapper quelques balles de baseball sur la pelouse un soir d’été…