
Paris-Marseille
La vitesse, le bruit, le danger : être hors la loi et marginal. C’était sûrement un rêve de gamin. Les Joe Bar Team jonchaient le sol de ma chambre, autour du lit, et j’avais monté des pneus de route sur mon VTT pour en faire un supermotard, comme Paul Posichon. Quelques années plus tard, internet permettait de regarder des vidéos, et c’est Dailymotion qui brûla les derniers neurones du lobe frontal de la raison. Si le cannabis a des effets irréversibles avant vingt ans, alors visualiser la vidéo du Prince Noir, faire un tour du périph’ en onze minutes minutes et quatre secondes sur sa GSXR ‘89, laisse des traces indélébiles, débile. Ainsi, la marginalité routière a commencé, et le passé semblait bien plus adapté à mon idée de la conduite. Aujourd’hui, papier rose en poche, et après quelques stages de récupération de points, je fantasme sur une époque folle où rouler à deux cents de moyenne n’était pas passible de prison, et où la moto n’était pas un accessoire de mode. Alors, comme une ôde à un monde disparu, laissez moi vous raconter l’histoire de la Kawasaki GPZ 900 qui a battu le TGV sur un Paris-Marseille.
Après avoir déjà mis une baffe au TGV entre Paris et Lyon en CBR, puis au train Capitole en GPZ 1100, Moto Revue décide d’enfoncer le clou. En 1985, le TGV relie Paris à Marseille en quatre heures quarante (contre trois heures en 2019 ndlr). Voilà qui promet un beau défi, une course au départ de la Gare de Lyon, à trois heures du matin, sur une Kawasaki 900 Ninja, pour rallier Marseille Saint-Charles avant le petit matin. Non sans se poser de questions sur les conséquences d’un tel acte, et des remontrances pouvant impacter la législation motarde, Moto Revue monte une organisation composée d’une vingtaine de personnes. Après avoir travaillé l’itinéraire parfait pour parcourir les 780 kilomètres le plus rapidement, les trois pilotes pouvaient prendre la route.
Paris – Auxerre
Gladiator, c’est l’alias du premier pilote, commencera le premier relai. Il doit piloter la moto jusqu’aux portes de la Bourgogne, à Auxerre, depuis le parvis de la Gare de Lyon, à Paris. Il est trois heures du matin, on imagine que l’excitation est à son comble. 173 kilomètres doivent être avalés en moins d’une heure, et déjà en 1985, sortir de la capitale rapidement relève de l’exploit, d’autant plus que le périphérique sera fermé cette nuit là. Après avoir bu une dizaine de cafés, et repéré le parcours jusqu’à l’autoroute, il colle enfin le sélecteur en bas. Le chrono est fixé sur le guidon, pour vérifier les temps de passage collé sur le compte-tours.
Première engagée, c’est parti. Sous le crépitement du flash du photographe, la moto s’élance, au bout de la rue le Gladiator ouvre en grand et la moto part en travers : il avait pourtant noté les flaques d’huile dans l’angle. Six minutes et quelques feux rouges cramés plus tard, la bécane franchit le péage.
“Collé derrière la bulle, j’enroule du câble, la conscience tranquille. Il fait beau et la circulation est fluide. Quelques égarés sur la voie de gauche s’écartent précipitamment en voyant arriver le H4 de 100 W dans leur rétroviseur. […] L’aiguille du compteur oscille entre 220 et 250 km/h en fonction des courbes et de l’état de la route. […] Ça devient monotone, cette histoire.”
L’autonomie de la moto à cette allure n’étant pas une référence, c’est au bout de cent trente kilomètres que le moteur réclame son biberon. Le jerrycan arrimé à selle passager, derrière le pilote, doit permettre de fournir assez d’essence pour rejoindre Auxerre. Le Gladiator circule avec cinq minutes d’avance sur le planning, il rend la main pour avionner autour des deux cents et économiser un peu d’or noir. Au loin, la lumière de la station essence qui fait office de relais scintille. Il est temps de passer le guidon. La 900 ralentit dans la bretelle d’autoroute alors que le moteur cafouille.
Auxerre – Chanas
3h55. Le Terminator saute aux commandes alors que le réservoir vient à peine d’être rempli. La moto est chaude, il soude la poignée et laisse une trace de gomme par terre. Il repense à l’échange avec le Gladiator, qui lui a partagé que le jerrycan déconnait et que l’essence avait du mal à arriver aux carbus quand le réservoir est vide. Il va falloir y aller molo.
“Le faisceau du phare me donne le drop-angle dans lequel je pointe de temps en temps un cargo de la route. Quand j’en coince un dans le viseur, entre le speed indicator et le red-limit, je le fusille du pouce gauche, histoire que le rat qui se trouve au volant apprécie mieux la différence entre son tas de ferraille qui détruit la bande et le mien qui la caresse. Je connecte ma visée infrarouge avec les couleurs du paysage stockées dans ma mémoire pour me distraire lorsqu’il n’y a pas de spots rouges à l’horizon.”
Lors d’un ravitaillement, l’équipe prévient Terminator qu’une voiture de police vient de quitter la station pour rejoindre l’autoroute et intercepter la moto. Après avoir bu rapidement à la paille que lui tendait son précieux informateur, il redémarre vers le Sud. En rattrapant le girophare, il “atomise” les forces de l’ordre à plus de 240km/h, sans se laisser le temps de jouer avec : l’objectif est d’apporter la moto rapidement au prochain relais.
“Dans le tunnel qui m’amène à Lyon, je débranche la sono et taquine la zone rouge afin de sentir le moteur. L’onde sonore est belle, pas de cliquetis ; ces putains de fûts à combustion fonctionnent pas mal vu leur complexité !”
A la sortie du tunnel, le Rhône pointe le bout de son nez. Terminator aimerait avoir une bécane amphibie, surtout que la route devient de plus en plus remplie. Le slalom est de rigueur, la voie d’arrêt d’urgence devient une piste supplémentaire. L’aube donne ses premières lueurs, il est temps de donner le guidon au suivant…
Chanas – Marseille Saint-Charles
Le Vexator a la pression. Alors que Gladiator et Terminator ont réussi à gagner un temps fou sur le planning, une bonne quinzaine de minutes, le dernier relais de la course est sûrement le plus complexe. Le trajet comporte deux péages, augmentant le risque d’avoir un comité d’accueil, et surtout l’entrée dans Marseille. Il est 5h37 quand le Terminator arrive à la station, deux minutes après la moto repart. Le niveau d’huile a été fait en bombe, et le pneu a été aspergé. Le départ est glissant, mais la moto file de nouveau sur l’autoroute.
“Il fait encore nuit. Il y a du monde ! La moto va bien. L’arrière a l’air de tenir, ça ne glisse pas… Bordel ! Le moteur coupe. Qu’est-ce que c’est ? A 220, plus rien… Quel con ! J’étais en troisième ! Bon, maintenant, fini de rigoler, gaz, assez perdu de temps.”
La bécane a désormais vingt-sept minutes d’avance sur l’horaire. En se pressant un peu, il est possible de gratter encore un peu. Le TGV ne va jamais s’en remettre. Avignon pointe déjà derrière la bulle pleine de moustiques écrasés. Avec trente minutes d’avances, il faut que l’équipe de ravitaillement soit en avance. Il n’a pas de temps à perdre.
“265 km/h à 10 700 tr/mn. Elle marche, cette 900 ! Qu’est-ce que c’est ? Un barrage ? Non, ouf, c’est pas une histoire de radar avec barrage d’enfer à l’appui, mais simplement un camion en panne et quatre voitures de flics pour voir ce qui se passe.”
Le réservoir fixé sur la selle fonctionne mieux, la moto respire. Le ravitaillement se fait en vitesse, nettoyage de la visière, plein, niveau d’huile, go ! Avec le temps gagné, il reste trois minutes à prendre pour passer sous la barre des quatre heures et humilier le train. Péage. Il y en a pour 3.5F, Vexator balance un billet de vingt sac, pas le temps pour la monnaie. Il est bientôt sept heures et les gens prennent la route : c’est une belle opération de zigzag entre les voitures et les camions. La Kawasaki prend enfin la sortie “Saint-Charles”, et c’est pas le moment de se tromper d’itinéraire.
« 6 h 59. La gare. Il m’a dit : « Quand tu vois la gare à ta gauche, tu enquilles le sens interdit, on sera au bout. » […] Oups ! Flics ! Demi-tour au frein arrière. Feu rouge, trottoir, passage piétons. 7h et vingt-cing secondes. « Vous êtes l’huissier ? – Oui ! » Super. C’est fait. Incroyable. Génial. Vite, un téléphone, il faut les prévenir au P.C., ils doivent se demander ce qu’il se passe … »
Pour en savoir plus sur cette histoire, et lire l’originale, vous retrouverez toutes les informations glanée pour la rédaction de ce résumé ici : http://kawasakininja.free.fr/tgv.htm